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Kasper T. Toeplitz

 

 

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Armageddon

Jens Hauser: Comment un compositeur issu d'une formation classique arrive-t-il sur un projet de spectacle comme "Armageddon" qui est, du début à la fin, porté par des voix synthétisées?

K. T. Toeplitz: Il n'y a pas que la synthèse vocale qui m'intéresse, ce sont toutes les nouvelles possibilités offertes au compositeur par l'informatique musicale et par les nouveaux instruments, comme les capteurs de distance et les capteurs de pression. Nous devons travailler avec les outils d'aujourd'hui, et avec le monde d'aujourd'hui, avec ces téléphones portables, les ordinateurs, et les voix de synthèse dans les voitures. Pour beaucoup, cela s'apparente encore à une fascination technologique à la Jules Verne, on se dit que les voix de synthèse n'appartiennent qu'aux machines, aux robots et on se demande où il y a l'Homme là dedans et pourtant .. même un concert de musique folk n'a plus lieu sans une sonorisation complexe.
Parmi les instruments que nous utilisons, il y a le Theremin qui a maintenant déjà un siècle. C'est n'est donc vraiment pas de la science-fiction.

J.H.: Ces outils semblent favoriser le mélange entre les différents millieux musicaux. Art Zoyd est un groupe né dans la tradition du rock progressif.

K. T. Toeplitz: Il faut se placer là où les choses avancent, et je fais un peu charnière. Ce croisement, qui ne va d'ailleurs peut-être pas durer, est un phénomène assez récent. Nous avons vécu tout un siècle de dissensions entre la musique populaire et la musique dite savante; il y d'un côté l'Ecole de Vienne jusqu'à l'IRCAM, et de l'autre le cabaret jusqu'à la musique pop. Maintenant, les deux mondes se rejoignent, surtout parce qu'ils utilisent quasi les mêmes outils, ce qui est déjà un garant de pouvoir parler le même langage. Dans la musique dite "techno" au sens le plus large, on a abandonné la forme de la chanson qui a dominé la musique populaire jusqu'à peu. On arrive à des formes guère éloignées de la musique contemporaine, et l'image antinomique de Mozart contre Jimi Hendrix n'a plus lieu d'être.

J.H.: Ce sont pourtant des innovations conceptuelles comme la Musique Spectrale qui sont à la base de ces rencontres…

K. T. Toeplitz: Oui, cela ne fait que 20-30 ans que l'on peut travailler avec le son comme une donnée pure. Avant, il fallait d'abord inventer un instrument, du violoncelle à la guitare électrique. Maintenant, tout le monde travaille le son de l'intérieur. Bien sûr, un DJ ne fera pas d'analyse de Fourier afin de déterminer et modifier séparément la partie bruitée et la partie note d'un son, comme cela se passe dans un cadre académique plus institutionnel. Il cherche peut-être juste des sons avec une enveloppe et une texture un peu differentes qu'il essaye de rendre un peu plus sales parce que cela lui plaît. La synthèse granulaire, apparue dans les années 60, est un autre bon exemple. Que ce soit le compositeur de tradition la plus classique qu'il y ait, ou que ce soit vraiment le musicien de noise bruitiste-techno, tout le monde l'utilise aujourd'hui.